Il y eut les maisons de passage, celles où l’on s’arrête un soir car une porte s’est ouverte, car une femme vous a reçu, différentes maisons dans différentes villes, de nom- breuses femmes pour l’amour absolu. Il y eut , dans ces maisons, les tables minuscules, les cuisines étroites, une absence d’issue, les carnets de la honte avec, dans leurs pages, cette parole en sommeil, cette parole en sang ne sachant délivrer le chant de la première phrase, le cri de l’unique blessure dont on taisait le nom. A elles seules, ces années là feraient un livre. Mais à quoi bon ? Elles demeu- reront le livre en suspens, le seul vrai livre, celui que l’on écrira jamais et qui nous hante. En effet, il y a une beauté de la chose secrète, de la mer- veille intouchable qui meurt au bord des livres rêvés. La beauté est sans doute là, dans l’accord invisible, dans le cri qui a su contenir sa rage. Nous mourrons donc un secret au bord des lèvres dans le temps infini. Nos jours auront été une ombre sur la terre. Joël VERNET, Les jours sont une ombre sur la terre Frontispice de Jean-Gilles Badaire COLLECTION ENTRE 4 YEUX,1999 , p.28-29